LA MAISON DE MON ENFANCE A ETE TUEE
C’était une maison de rêve, la seule plantée en haut de la rue, la seule qui regardait l’océan bien en face. Au 49 rue Alsace Lorraine.
Lorsqu’assise à la table de la salle de séjour je faisais mes devoirs, je n’avais qu’à lever les yeux pour voir l’océan à quelques centaines de mètres devant moi, briller des reflets du soleil ou bien agité par les "moutons" qui se formaient à sa surface.
J'entendais de ma chambre les vagues frapper le parapet de la plage, ma plage, et quelquefois les nuits de grandes tempêtes je pensais que la mer en colère viendrait me chercher jusque dans mon lit pour m’emporter.
Ma maison attirait les regards : l’été les vacanciers s’arrêtaient pour regarder les roses magnifiques dans le jardinet bordant la rue descendant à la plage, l'été le tour de France passait à notre porte.
En Août nous recevions la famille au grand complet : mes parents, oncles, tantes, cousins, cousines pour un long mois de rires, de promenades, de baignades, et d’histoires d’enfants.
Toute la tribu revenait à Noêl. En décembre, les passants plantés devant la baie vitrée admiraient la grande salle de séjour entièrement illuminée où trônait le grand sapin décoré.
Et puis un matin la lettre est arrivée… Un vrai drame, un couteau planté dans le cœur. Pas moyen de résister ni de rester, il fallait abandonner notre maison. Notre vie serait à jamais différente, une immense page allait se tourner pour toujours.
Notre maison a existé, a été mise à mort, a disparu parce que des gens que nous ne connaissions pas, des gens assis dans des bureaux, en ont décidé ainsi. Ces gens nous ont écrit que notre maison gênait, qu’il fallait agrandir la route qui menait à la plage, qu'ils allaient nous exproprier puis raser notre maison. La maison de mon enfance, la maison des plus beaux jours de ma vie .
Mes grands parents n’ont eu d’autre choix que de plier devant l’administration, et à l’âge d'une paisible retraite bien méritée, ils ont dû partir « se reconstruire ailleurs ». C’était il y a plus de trente ans.
Un jour je suis retournée rendre visite à ma maison. Elle était mourante, des débris jonchaient le sol, des salauds l'avaient dégradée, avaient brisé ses fenêtres. Puis plus tard quand je suis revenue, il n'y avait plus rien. A la place une route plus large, une cabine téléphonique et un banc qui regardaient l'océan bien en face.
Ma maison n’existe plus que dans ma mémoire, elle y est rangée avec ceux qui y ont vécu, ceux qui ont disparu à leur tour.
Cette maison, je ne pourrai plus jamais en pousser la porte ni la faire visiter à mes enfants. Elle disparaitra pour toujours quand ma mémoire s’effacera à son tour.
Alors aujourd’hui comment ne pourrai-je pas comprendre ce qui se passe dans mon village ?
Marge n'a jamais oublié