Sophie juge qu'elle était "mal informée sur les risques" de la pilule de 4e génération.

Pilule de 4e génération : ce Noël que Sophie, 21 ans, a failli ne jamais fêter

LE MONDE | 29.12.2012 à 09h52 • Mis à jour le 30.12.2012 à 21h08 Par Pascale Krémer - Rennes, envoyée spéciale

Pour Sophie et ses parents, les fêtes de Noël ont cette année un goût "particulièrement savoureux". Le goût du bonheur qui a failli disparaître, emporté par l'acné, une pilule contraceptive de quatrième génération, un médecin bien léger et le scepticisme général.

Pour se débarrasser de quelques boutons disgracieux, Sophie, 21 ans, étudiante en deuxième année d'école de commerce, à Nantes, consulte le 24 octobre une généraliste de la ville. Elle souhaite prendre la pilule pour la première fois. La généraliste lui prescrit d'emblée la pilule Jasmine des laboratoires Bayer – que la pharmacienne remplacera ensuite par son générique, Convuline, du même laboratoire. Une pilule de quatrième génération qui, comme celles de troisième génération, ne doit jamais être prescrite aux nouvelles utilisatrices en première intention, selon les recommandations répétées de la Haute Autorité de santé – les pilules de seconde génération présentent moins de risques de thrombose (Le Monde du 14 décembre). Lire : Alerte sur la pilule de 3e et 4e génération et  Ces vies brisées par la pilule 

ELLE RACONTE SES ESSOUFFLEMENTS

"La généraliste m'a demandé si j'avais des antécédents, sans préciser de quoi, se souvient l'étudiante. J'ai mentionné des problèmes cardiaques et de cholestérol dans la famille. Elle m'a prescrit une prise de sang. Elle n'a pas parlé de risques de thrombose, de phlébites, des termes que je ne connaissais pas à l'époque. Elle ne m'a pas non plus expliqué qu'il y avait plusieurs générations de pilules, ce que je ne savais même pas..."

Les analyses de sang sont parfaites. Sophie part en vacances à La Réunion avec ses parents. Dix heures d'avion aller, de sublimes et interminables randonnées, dix heures d'avion retour, elle rentre en pleine forme. Pourtant, une semaine plus tard, la voilà qui se sent très essoufflée lorsqu'elle monte les escaliers ou marche rapidement, avec un cœur qui bat la chamade. Un mois après s'être vu prescrire Jasmine, elle retourne consulter sa généraliste, lui décrit cet inhabituel essoufflement, lui demande même si elle doit poursuivre la prise de sa pilule, ne percevant aucune amélioration de son acné. Réponse ? Continuer. "Et comme j'avais le rhume, elle m'a donné un pschitt pour le nez et un sirop." Les symptômes perdurent.

Le 14 décembre, Le Monde publie une double page sur les risques des pilules de troisième et quatrième générations. Une première plainte vient d'être déposée au pénal, en France, par une victime, contre le groupe pharmaceutique Bayer. La mère de Sophie, Marie-Pierre, reçoit l'alerte du Monde sur son I-Phone, puis lit l'article. "J'ai vu thrombose, AVC, ça ne m'a pas interpellée. Puis j'ai lu embolie pulmonaire. Pulmonaire, là j'ai pensé aux problèmes respiratoires de ma fille." Avertie, Sophie lit les témoignages de victimes, dont certaines évoquent des essoufflements préalables à l'embolie. Elle reconnaît ses symptômes.

"SENSATIONNALISME, DÉSINFORMATION !", BALAIE LE MÉDECIN

Retour chez sa généraliste, le 15 décembre. Qui l'ausculte, ne voit rien, lui demande de fléchir trente fois les genoux, puis de remonter, avant de la laisser seule dans la pièce. "A la dixième, raconte Sophie, je suffoquais tellement que j'ai cru que j'allais mourir. Quand elle est revenue, elle ne parvenait même plus à compter mon pouls, j'étais à plus de 180 pulsations minute." Effectivement, vous faites de la tachycardie, conclut le médecin, qui l'envoie consulter un cardiologue et faire des analyses de sang pour contrôler sa thyroïde. Analyses auxquelles un ami de la famille, médecin, contacté entre-temps par la maman, prend la salutaire initiative d'adjoindre un dosage des D-dimères, marqueurs de l'embolie pulmonaire. Leur taux se révèle explosif.

Sophie appelle le SAMU "un peu en panique". Parle de ses essoufflements, de la pilule Jasmine qu'elle prend depuis deux mois, des D-dimères... Le médecin régulateur se gausse et se fait longuement prier avant d'envoyer un véhicule. Direction les urgences du CHU de Nantes. Face à une spécialiste de médecine interne, Sophie re-raconte les essoufflements, la pilule, les D-dimères, l'article du Monde. "Sensationnalisme, désinformation !", balaie le médecin. Elle est au courant de tout cela depuis bien longtemps. Il ne faut pas prendre pour argent comptant ce que raconte la presse qui affole inutilement. Bref, "si l'on devait faire passer des angioscanners à toutes les femmes sous pilule, on n'aurait pas fini !"

"J'AI FRÔLÉ LA CATASTROPHE"

A force d'insister, et grâce à l'arrivée de son père, Sophie arrache au médecin sceptique cet examen de visualisation des vaisseaux sanguins. Pour découvrir que ses deux poumons sont plein de caillots. Embolie pulmonaire bilatérale. "Après, le médecin ne nous a plus reparlé de l'article." La pilule et l'avion sont incriminés. Deux jours d'hospitalisation, six mois de traitement anticoagulant... "J'ai frôlé la catastrophe, sait aujourd'hui la jeune fille. Je ne vais pas pour autant faire un réquisitoire contre toutes les pilules, elles sont super-importantes dans le climat rétrograde dans lequel nous vivons. Mais il est clair qu'on est mal informées sur les risques. Si la généraliste m'avait décrit les symptômes de l'embolie, j'aurais tout de suite compris ce qui m'arrivait."

Depuis ce miraculeux 17 décembre aux urgences, Sophie parle pilule avec toutes ses amies et diffuse l'information sur Facebook. "Dans mon cercle de connaissances, j'ai déjà eu vent de deux accidents." Nous avons joint sa généraliste nantaise. "Je ne suis pas sûre d'avoir à vous répondre, nous a-t-elle déclaré. Je vais contacter le conseil de l'ordre." Immédiatement après notre appel, ce médecin a tout de même pris des nouvelles de Sophie pour la première fois depuis son départ aux urgences.

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